Rue de Laubespin

La rue fut tracée en 1906 mais il faut attendre 1919 pour voir apparaître la première maison, le n°13, et encore deux ans pour qu’elle soit occupée (1921). Ce premier habitant de la rue est un certain M. Charles Morren, agent de change. Déjà ! Il est rejoint l’année suivante par F. Maes, représentant de commerce. Deux nouvelles maisons, les n°s 27 et 33 apparaissent en 1925. Puis, en 1927, la rue s’enrichit, toujours du côté impair, de trois nouvelles maisons (nos 7, 9 et 11). (1)

Cette photo date de 1930-35 (source: Bruciel)

Saviez-vous que le haut de la rue a connu deux lignes de tram ? (4)

Tout d’abord, la ligne 89.

Le 2 novembre 1906, la Société des Chemins de Fer Économiques qui exploitait les « trams chocolats » comme on les avait surnommés en référence à leur livrée blanche et brune, ouvre une nouvelle ligne, Bourse – Gare Maritime. Moins de deux ans plus tard, elle est prolongée jusqu’à la place communale de Laeken.

En 1928, lors de la fusion des réseaux trams Chocolats et Tramways bruxellois, la ligne Bourse – Laeken reçoit le n°89 et le 27 avril 1935, à l’occasion de l’Exposition Universelle, son itinéraire est prolongé jusqu’à l’avenue Houba de Strooper. De la place Bockstael à la rue Hubert, son itinéraire est identique à celui de la ligne 88 mais arrivé à l’avenue Masoin, il bifurque à droite par l’avenue Rommelaere, l’avenue Stiénon et le Square Palfijn, terminus toujours utilisé pour les lignes 51 et 93.

Cette ligne a été supprimée le 1er mars 1960.

L’autre ligne est la 88.

Le 18 juin 1923, la ligne CFE Bourse-rue Steyls, créée le 16 juillet 1908, est prolongée jusqu’à l’Hôpital de Bruxelles (Brugmann) par le trajet rue Delva – Square Pince Léopold – rue Laumans – rue Salu – rue de Laubespin – rue Eugène Hubert – avenue Ernest Masoin – Place Arthur Van Gehuchten.

Le 24 mai 1928, suite à la fusion des réseaux de la Société des Chemins de Fer Économiques et de la Société des Tramways Bruxellois, ancêtre de la STIB, la ligne Bourse – Hôpital de Bruxelles reçoit le n°88. Elle sera supprimée le 9 janvier 1968.

Mais d’où vient ce nom « de Laubespin »?

Voici l’histoire.

Tout commence avec Jean d’Orjo, seigneur de Freyr en 1378.

ou si vous préférez une photo plus récente:

Ce brave homme a deux fils, Jean et Gilles. Ce dernier a une fille qui devient dame de Freyr. Avant de décéder en 1457, elle épouse en 1423, Jacques de Spontin qui devient de ce fait également seigneur de Freyr. Vous sautez, en tout bien tout honneur, quelques descendants de Jacques de Spontin (les passionnés du bottin mondain pourront trouver tous les détails ici) et vous arrivez à Frédéric Auguste.

Selon Wikipedia, Frédéric Auguste Alexandre de Beaufort-Spontin (1751-1817), comte de Beaufort, marquis de Spontin et Florennes, marquis de Beaufort-Spontin, devint duc dans les Pays-Bas autrichiens en 1782, puis comte d’Empire en 1789. « Il était le chambellan de l’archiduc Charles d’Autriche à Bruxelles, et gouverneur général des Pays-Bas au nom de la Sixième Coalition en 1814. Il fut aussi président du Conseil Privé, chambellan et grand maréchal à la cour du roi Guillaume Ier des Pays-Bas ». Bref, c’était pas de la crotte.

Le 1er octobre 1807, il épouse en secondes noces rien moins que Ernestine Margarete zu Starhemberg (1782-1852), la petite-fille de Georges Adam zu Stahremberg. Personnage important pour Bruxelles puisqu’il fut nommé par Joseph II ministre plénipotentiaire auprès de notre Gouverneur Général Charles de Lorraine. A ce poste, il joua un rôle important dans le réaménagement du quartier de la Place Royale resté à l’état de ruines après l’incendie du palais des Ducs de Brabant en février 1731 (Pour tout savoir sur l’histoire de ce quartier, une visite au site archéologique « Palais de Coudenberg » s’impose).

Le couple Starhemberg-Beaufort-Spontin eut quatre enfants, dont Marie Hermengilde (1813-1880), l’héritière du château de Freyr.

Vous aurez compris que c’est Marie Hermengilde, aussi connue sous le nom de Comtesse Gilda de Beaufort-Spontin qui nous intéresse ici car c’est elle qui a épousé le Comte Charles Marie Camille de Laubespin.

Nous y voilà !

Mais qui étaient ces de Laubespin ?

Le premier personnage connu est un Guillaume de Laubespin, témoin d’une donation en 1131.

Il avait un coin de terre en Bourgogne. Ce lopin est devenu comté, puis marquisat. Selon Geneanet, le premier marquis de Laubespin fut Charles Achille Mouchet de Battefort, né à Poligny (Jura) en 1620 et décédé au même endroit en 1703.

Toujours grâce à Généanet, bien des Mouchet plus tard, nous trouvons Amour-Fortuné-Marie-Charles Mouchet de Battefort de Laubespin (1764-1849), cinquième marquis de Laubespin, qui épousa le 30 juillet 1803, oh bonheur !, Félicité de Lévis Mirepoix (Paris, 23/12/1779; Freyr, 1839), fille de Henri Charles Philibert de Lévis Mirepoix, comte de Mirepoix (1753-1794). Dingue !

Dingue, certes, mais l’avenue de Levis Mirepoix est à Jette, donc hors de notre propos auquel nous revenons pour vous dire que parmi les enfants issus du couple Amour-Fortuné et Félicité, il y a Charles Marie Camille Mouchet de Battefort de Laubespin (1812-1876), qui épousa le 5 juillet 1836 Marie Hermengilde de Beaufort-Spontin (1813-1880) dont question ci-dessus. Et au passage vous avez la réponse à la question que vous vous êtes sûrement posés : Comment se fait-il que Félicité décède au château de Freyr ? Tout simplement, elle était auprès de son fils et de sa belle-fille, héritière de Freyr. Si vous souhaitez savoir à quoi ressemblait le couple, vous pouvez faire un petit tour sur le site du château de Freyr.

Et nous arrivons maintenant à la rue. Le petit-fils de Charles Mouchet de Battefort de Laubespin et de Marie de Beaufort-Spontin, Humbert de Laubespin (1881-1925), après des études à Namur et l’ ULB, devint ministre plénipotentiaire. En poste à Luxembourg après la première guerre mondiale, il y négocia, en 1921, l’Union Économique Belgo-luxembourgeoise (3). Lorsque du 13 au 16 mai 1922, d’importantes festivités furent organisées à Bruxelles (2) pour célébrer cette Union, on pensa tout naturellement à Humbert, comte de Laubespin, pour assurer la présidence d’honneur du comité organisateur de ces festivités. (1)

Il reste cependant un doute : lorsque la rue est tracée en 1906, Humbert n’avait que 25 ans et aucun état de service justifiant de voir son nom donné à une rue. Mais c’est dans cette direction là qu’il faut chercher… Peut-être, la rue ne reçut-elle son nom que plus tard, bien après avoir été tracée sur un plan.

Extrait du guide Baedeker de 1910

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(1) source: Almanach du commerce à Bruxelles, AVB

(2) Ces festivités furent organisées avec le concours de la musique du 1er régiment des Grenadiers qui faisait partie de la 6e Division d’Armée commandée par le Général-Baron de Ceuninck (voir ce nom)

(3) Pour la « petite » histoire, le Duché de Luxembourg à l’époque des Pays-Bas autrichiens s’étendait sur les territoires de l’actuelle province de Luxembourg, une partie de la province de Liège, le Grand-Duché et le nord des départements français de la Meuse, de Meurthe et Moselle et de Moselle. Lors des négociations qui ont conduit en 1839 au Traité des XXIV Articles qui consacrait la reconnaissance internationale de l’indépendance de la Belgique, le duché a été scindé en duché de Luxembourg rattaché à la Belgique et en Grand-Duché de Luxembourg, en principe indépendant mais intégré en réalité à la Confédération Germanique dominée par la Prusse. En 1842, dès sa création, le Zollverein, accord douanier préfigurant l’empire allemand, intégra le Grand-Duché. En 1919, le Grand-Duché devint indépendant et chercha des partenaires économiques. La France ayant refusé de jouer le jeu, les Luxembourgeois se tournèrent vers la Belgique. Il semblerait que les négociations furent âpres. Humbert de Laubespin qui les mena pour le compte de la Belgique y gagna sa notoriété. Et une rue.

(4) source : Historique des lignes des tramways bruxellois, MUPDOFER 2002

note: si vous aimez les plans, vous pouvez aller faire un tour ici

(dernière révision: mai 2019)